L'humour utilisé comme carapace, apparemment. On le lui avait asséné, de la manière la plus anodine, au détour d'une conversation qui l'était tout autant. Thessalos était un Corvine mais, des jours, surtout des comme celui là, il tenait tout de l'Argyre: la posture, le regard accesseur, vif et critique derrière des montures mouchetées. On devinait Yale, on devinait Donna Tartt - pas les trochets de cailloux et de verdures sur lesquels il était passé d'australopithèque à homo sapiens sapiens. C'était facile, de faire des raccourcis et de lui prêter une attitude qui n'était pas la sienne. Coincé en compagnie de secrétaire et autres scribouillards derrière une table.  Depuis qu'il s'était présenté à l'intérieur du bloc de béton  au sol entièrement marbré du business building servant de siège à la compagnie de production d'un illustre inconnu - son cronos, un grand-père qu'il n'avait jusque là croisé qu'à trois nébuleuses reprises- mal fagoté mais prêt à se creuser un trou, quitte à le faire à mains nues, l'excellent directeur de casting qu'il était n'était qu'une réduction peu flatteuse. Pourtant, il se pensait héros de grandes épopées : né dans des conditions plutôt sans saveur, dans un berceau de mauvaise confection, sous le signe de la médiocrité, pourtant doté d'une détermination sans commune mesure. Il avait décidé d'accepter d'emprunter le chemin vers la divinisation même si ledit chemin se révélait semé d'obstacles; il s'était senti  Héraclès face au lion de Cithéron. Et quelque chose dans le reflet de ses canines avait eu le don d'attiser la curiosité de son ascendant qui avait consenti à lui offrir sa chance. L'audace, d'accord, pas seulement une histoire de partage de gènes systématique : qu'ils se soient ressemblés comme deux gouttes d'eau ? Visiblement pas une raison pour lui filer un job. L'audace répétons le ; à cause de ce trait de caractère qu'il finirait un jour par quitter le décor.
Il prétend toujours être né à New York; avant il n'était qu'un rejeton auquel le soleil californien avait grillé quelques synapses.



- Mel Gibson wants a '96 version of Sarandon for his The Passion of the Christ reheated redo ? s'entendit-il répéter, incrédule, cigarette pendouillant inélégamment aux bouts de ses lèvres alors que les cendres retombaient pianissimo sur le contenu tiédi de son mug (du kopi luwak importé en loucedé par un acteur bankable principalement connu pour avoir participé à une franchise intergalactique datée des années 70 (et qui créait désormais le buzz surtout pour être le fondateur d'un culte astrologique plutôt farfelu)). Mel Gibson qui ne faisait désormais les gros titres que pour ses positions sectaires sur les minorités auxquelles il n'appartenait pas (obviously) , commençait sérieusement à l'enquiquiner. On lui avait dicté un certain nombre de consignes depuis qu'il avait rejoint le bassin mais Corvine devait bien avouer que cette demande là était quasiment impossible à satisfaire (trouver une actrice de cet âge là, sans statuette, dont le paycheck n'ait pas ruiné tout le budget alloué au film, hein, autant tout de suite booker une interview avec Elvis). -Listen, listen !  What if i come up with  a 2008 Jane Seymour but with  better acting skills  ? c'était dans ses moyens et il pouvait plus tard se fendre d'un "j'ai fait comme j'ai pu" sans craindre d'être taxé d'amateurisme. - Why would you do that ? demanda l'assistant du réalisateur, l'air de questionner la santé mentale de celui qui, contrairement à lui, n'avait pas l'air de savoir à quel caprice gibsonien il risquait de s'exposer. - coz i can for fuck's sake - et parce qu'il savait ce qu'il faisait. fine, does she have to look exactly like her ? or be talentfull ? or whatever, de toute façon, c'était lui le directeur de casting, pas un cinglé surcoté incapable de se renouveler artistiquement parlant et qui twittait avec le panache d'un puriste républicain. Et puis, il détestait répondre aux directives d'un tiers. Il détestait cela, pour autant, subissait le paternalisme d'Argyre à toute heure. Lorsque son idylle avec Greta Vereberg, rencontrée lors d'un casting cette année là, fit apparition dans quelques tabloïds, il ne fallut pas longtemps pour que les détracteurs descendent en flèche leur relation, qu'ils crient au coup RP; suggèrent autant népotisme en apostrophant la direction des ressources humaines quant à la légitimité du lien déséquilibré. Après leur rupture, après la passion, le so called grand amour, Thessalos fit l'objet d'accusations infondées,  il fut à deux gros titres d'être  qualifié de 'prédateur'. Dégoûté, pas tout à fait alcoolique (mais presque) et grandement dépressif, un beau matin, il agita le majeur sous le nez de son grand-père en citant une réplique du roi Lear.
Il essaya de garder le cap durant quelques mois, en produisant et mettant en scène des pièces au sein de compagnies amatrices du théâtre district et ce avant d'amasser ses bricoles dans le coffre de sa mazda direction back home. A Mariposa, après s'être brièvement mis au vert nursé par un ami de longue date, il décida de fonder sa propre entreprise de production avec pour but principal d'emmerder son grand-père, se reconstruire une réputation et pourquoi pas s'inscrire dans une quelconque postérité ? Les choses furent loin d'être faciles, après trois années de travail acharné, le quatrième film produit par sa compagnie fut acclamé par la critique, les recettes permirent  de sortir CORVIDAE COMPANY du rouge, l'établissant comme une société sûre.
Mais le Thessalos de New York avait disparu, l'enfant de Wethersfield avait appris à ses dépends; considérant son retour à Mariposa comme une semi retraite anticipée (où une stratégie d'auto préservation pas trop mal exécutée).




Il se déplaçait toujours dans son coupé cabriolet rouge; une mazda MX-5, dépourvu de la prétention habituelle que l'on prêtait pourtant à ceux qui avaient réussi - ceux dont le compte bancaire concurrençait surement le produit national brut d'un pays exportateur de pétrole -, ne l'aurait-on pas imaginé au volant d'une Porsche, frimant avec les gull-wing doors d'une Bugatti plutôt qu'au volant d'une voiture que même le mariposien basique aurait pu s'offrir?
On l'avait vu à quelque reprise en grande conversation avec Mrs Baker, avant que cette dernière ne tire sa révérence, l'air de prendre plaisir à échanger avec celle qui , avec le temps, avait fini par faire partie des murs de la ville.
Il arborait ce sourire rayonnant qui disparaissait aussitôt le conciliabule fini, laissant place à l'éternel air renfrogné. On n'aurait pas instinctivement demandé sa direction à Thessalos Rowan Corvine ; c'est dire à quel point l'approcher relever de l'exercice de punition. On n'en croisait pas beaucoup qui l'apostrophaient et on ne l'imaginait pas entretenir des amitiés, toujours perclus dans sa bulle de solitude travaillée. Pourtant, il ne refusait jamais rien à Gracie Grehan, toujours riant aux éclats à ses réparties caustiques, capable de voir au delà des attributs que le commun lui reprochait (une famille embarrassante, un bagou exaspérant, des mensurations loin de lui ouvrir les portes d'Elite model management). Ils étaient amis. Gracie était ce que Thessalos avait de mieux, la seule qui malgré la réussite, l'arrogance et les années d'éloignement était restée. Le seul numéro qu'il composait encore lorsque la pesanteur du voile d'encre devenait suffocante. Lorsqu'il jetait un regard à travers la baie vitrée, les innombrables points lumineux visibles n'étaient jamais des étoiles , dans la grande ville, il n'y avait que le smog épais et les gratte ciel à perte de vue. Et le rire en octaves aigus de Grehan à l'autre bout du fil, servant d'ancre à celui qui peinait à s'enraciner.
C'est tout naturellement qu'il se porta volontaire afin de l'aider dans sa grande quête de maternité; acceptant de l'accompagner dans ses démarches, jusqu'à faire don de son sperme. Encore faut-il qu'il limite ses beuveries, adopte une meilleure alimentation et reprenne avant du poil de la bête.


Un grand père paternel membre  du congrès (n'ayant jamais tenté la moindre approche et ayant à peine reconnu sa paternité), une grand-mère (trop inintéressante et raciste pour en développer la présentation) , un père né de la cuisse gauche souffrant d'un complexe d'infériorité,  une mère (ancienne star de l'équipe de cheerleading, fille unique d'un producteur et d'une ancienne étoile hollywoodienne) épousée six mois avant la naissance controversée du premier rejeton (pas Thessalos, Jameson).
Le sceau de la honte effacé par la réussite approximative du mariage. Douze belles longues années - puis, une séparation sale, un rabibochage inespéré. Des remariages, le bonheur de nouvelles naissances (à comprendre : tout le contraire), la guéguerre insidieuse, les constants pissing contest. Les brunch dominicaux : à ne pas rater.  Il gagne une double nationalité et l'opportunité de dire que le divorce lui procure de la ""profondeur"" (il passe six mois  dans un pensionnat du Kent avant de retrouver la pale chaleur de Mariposa) 
S'il devait être une chanson, il serait une Chuck Berry; s'il devait être une œuvre artistique il serait une Basquiat, un bouquin  n'importe quoi pondu par Tolstoï (même sa putain de liste de courses), un plat 'nouilles sautées' - une voiture : une mustang Bullitt (à choisir, il serait celle conduite par steve mcqueen). Mais comme la vie ne fonctionne pas au conditionnel, monsieur se contente d'être lui-même: probablement average, pas du genre à s'inscrire au panthéon (ni même sur le formica d'un pupitre pendant recess) .
Il est temps d'adresser les raisons de son départ précipité de New York et de ses cousines teubés (c'est à dire Staten Island et New Jersey) : Greta Vereberg 'la nouvelle Hepburn' de la scène new yorkaise, qui a percé grâce aux pipes prodiguées sous bureau à nul autre que Thessalos Corvine, petit fils du magnat médiatique Alfred Argyre. Intox, scandaleuses accusations, ignominies - pour une fois qu'on voyait cet hâbleur tomber dans le pathétisme du 'no comment'. Il n'a jamais voulu adresser les rumeurs (se pensant au dessus). D'abord, Greta, ensuite la dépression. Il lui a fallu pratiquement deux années avant de s'extirper de cette prison mentale dans laquelle il s'était glissé; persuadé que par ce biais il échapperait aux critiques. Pas d'inquiétude, il prend ses cachetons avant de le boire son fidèle whisky. Il a ressorti, courant 2022, la mode de la pseudo "retraite spirituelle" (ne l'empêchant ni de fourrer son pif dans le business qu'il continue de mener d'une main de fer, ni de questionner l'utilité de prétendre vouloir tomber dans l'oubli). D'ailleurs, pour celleux que ça intéresse : Greta lui a brisé le coeur en petits morceaux qu'elle a pris plaisir à disséminer dans les égouts de brooklyn avant de jeter le reste par dessus une balustrade de cette maison disproportionnée louée tous les étés dans les Hamptons  (le deuil est trop long) .  
Mariposa apparaît comme un délicieux compromis; ça n'est pas tout à fait Wethersfield, ni tout à fait la campagne anglaise, ni  Broadway ou Hollywood  mais il s'y passe tellement de tragédies que le féru du genre apprécie particulièrement y fouler le macadam, heureux de profiter de l'ambiance qui y règne pour se dire que: putain de merde, on dirait bien qu'il soit pas le seul à avoir une vie pourrie (et ça a beau en écorcher certains, ça l'aide à supporter l'amertume du quotidien, ça le rassure).