séparation, décès



Ouvrant un œil, Ander remarque qu’il est bien étendu sur le sol, une jambe en l’air, la couverture en travers de son corps. Ce n’est toutefois pas cela qui a mené le jeune homme à ouvrir un œil. Tap. Tap. Clip. Clop. Bing. Pssssht. La cacophonie matinale de l’homme de Cro-Magnon délaissé par sa wife. Ses boucles partantes dans tous les sens, un bâillement plus démesuré que jamais, Ander se redresse, mais juste assez pour laisser son nez dépasser sur le dossier du canapé. Des petits yeux braqués sur Ford. « T’as été scout pourquoi t’arrive pas à faire un p’tit dej ? » Sa voix légèrement éteinte par le cuir du canapé. Il observe l’homme dans son habitat naturel, ça fait un moment que Caridad est partie et il le pensait plus habile que ça. Pourtant, il ne va pas l’aider, non, il s’amuse à l’observer. Prochainement dans votre vidéoclub près de chez vous, un documentaire sur la préhistoire avec protagoniste Ford Reilly. Son index vient retirer les petites cottes séchées dans le coin de ses yeux avant de croiser les bras sur le dossier. C’est fascinant d’observer un mec largué dépourvu d’une femme derrière lui pour l’aider. Ander n’est sans doute pas mieux, mais à cet instant, il en a que faire sa copine n’est pas là. Il n’est pas marié et ne compte pas arriver à ce stade. Alors observer Ford est un petit plaisir coupable qui flatte son égo. Finissant tout de même par se lever, une main grattant son boxer au niveau de ses lunes, le bouclé se dirige vers la cuisine. « Qu’est-ce que ces œufs ont pu te faire ? » Noirs. Ils sont noirs. D’immenses billes à la place de ses prunelles, il fixe le désastre avant d’éclater de rire. Trop théâtral sans doute, le bras tour de son ventre, plier en deux, il hurle de rire. Aussi agréable que soit AC, par moment ça fait simplement du bien de voir le jeune homme aussi joyeux contrairement à ces périodes moroses depuis le décès de Nick.

Il y a des jours plus simples que d’autres, des jours où il oublie presque la douleur autour de son cœur. Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Ford s’est réveillé dans un lit froid, délaissé depuis des mois par sa femme. Ils sont toujours mariés pourtant, l’alliance n’a pas quitté son doigt depuis qu’elle a déclaré avoir besoin d’une pause. Voilà des mois qu’elle dure cette pause, et Ford n’a plus de force. Pendant quelques minutes il reste allongé dans son lit, imaginant que Caridad est là, dans la maison. Dans la salle de bain peut-être, ou dans la cuisine pour mettre au point une nouvelle recette. Elle a cette moue sur le visage, adorable et pourtant énervée, parce qu’elle n’arrive pas à faire ce qu’elle souhaite. Ou ce sourire radieux qui envoie des papillons dans l’être entier de Ford quand il le voit. Il peut la visualiser si bien et presque la sentir contre lui. Mais il est seul, ou presque. Quand il descend dans la cuisine, il retient un grognement en voyant A.C. endormi. En réalité sa présence lui fait du bien, il ne supporterait pas d’être seul dans cette fermette, mais pour le moment ça lui rappelle juste que tout a changé. Il a troqué sa femme pour un ami et s’il apprécie très fortement l’ancien scout, ce matin il a clairement l’impression d’avoir perdu au change. Parce qu’il se retrouve face aux fourneaux et bien qu’il n’est pas le genre de mari qui laisse sa femme s’occuper de toutes les tâches ménagères, faut bien avouer que la cuisine est le royaume de Caridad. « Apparemment une gazinière c’est plus compliqué à manier qu’un feu de camp. Et j’vais pas faire un feu au milieu de ma cuisine. » Il répond à Ander sans le regarder, pas désolé pour un sou de l’avoir réveillé. Trop occupé par sa bataille avec les œufs, il les veut brouillés, un peu baveux, avec du fromage… mais clairement ils ne veulent pas coopérer. Le rire d’Ander ne l’amuse pas. Le bouclé est plié en deux, le géant lève les yeux au ciel. « Ils cuisent pas comme je veux ! » Il bougonne, sachant malgré lui que ça ne fera que renforcer l’hilarité de son ami. Il finit alors par couper le gaz sous la poêle et sortir un paquet de céréales du placard, un bol, du lait. « Qui a fini le lait ? C’est toi ou Tyler ? » Il dit sur un ton énervé. Des deux squatteurs, l’un n’en vaut pas l’autre quand il est question de ce genre de choses. Alors le voilà condamné à manger ses céréales sèches. « J’devrais te faire bouffer ces oeufs pour me venger ! » Cette fois, il lui jette un petit sourire, encore bougon mais légèrement détendu à l’entente de son rire.