Les rues de Mariposa ont la même ambiance, comme si Edmée n’était partie qu’hier. Rien n’a changé, à part le fait qu’elle était partie en octobre, alors que les feuilles des arbres commençaient à jaunir et qu’elle revient en mars. Bientôt l’air du printemps se fera sentir et Edmée, elle se pose un peu comme son annonciatrice. Un renouveau, c’est ce qu’elle amène. Elle sait tout de même que tout n’est pas exactement pareil, notamment avec les gens qu’elle a laissés derrière elle. Elle aura besoin d’un peu de temps pour se réinscrire dans ces relations, pour retrouver sa place, et c’est bien pour cela que la première personne qu’elle compte voir, est celle qui aura toujours une place pour elle. Son père sait évidemment qu’elle a remis le cap sur Mariposa. En l’appelant tous les jours, elle n’aurait pas pu prétendre autrement, mais elle a tout de même réussi à garder secret son jour précis d’arrivée. En partie, également, parce qu’elle n’était pas certaine de quand elle arriverait. Mais là voilà maintenant, à garer la voiture devant cette maison qu’elle connaît par cœur. Elle se demande un peu ce qui aura changé, et en allant vers l’entrée, avec Bowie à ses côtés, elle ressent seulement de l’excitation à l’idée de voir tout cela. Sa clé rentre dans la serrure, signe qu’au moins cela n’a pas été modifié pendant son absence. Elle entre alors à pas feutré, puis une fois la porte fermée, s’exclame à vive voix. « Papaaaaa, je suis rentrée ! » Souvenirs des années de jeunesse qui reviennent en mémoire, quand chaque soir elle rentrait de l’école en prononçant les mêmes mots. Cette fois, la journée d’école a duré plus de deux ans et elle a appris bien plus de choses. Elle passe d’une pièce à l’autre, espérant trouver son père, mais il faut croire que sa surprise est tombée un peu à l’eau, puisque la maison est vide. « C’est pas grave Bowie, on va l’attendre ici. » Une caresse pour son chien alors qu’elle l’amène dans la cuisine, et lui serre un bol d’eau.

Mains parcourant la terre, laissant la pulpe de ses doigts caresser celle-ci en refermant les trous pour couvrir les graines qu’il vient de planter dans son jardin. Voilà une chose que Richie aime ici, le retour à la nature, si loin de ce qu’il a toujours connu. Ici ce ne sont pas les grades ciels qui se dressent devant ses yeux, mais les tournesols qu’il plante chaque année pour les voir pousser et offrir leur rayon de pétales à l’automne. De rock star à petit fermier autodidacte, Richie possède quelques poules, une vache et même des abeilles, comme quoi il a bien changé. À genoux, sa tentative de se redresser se fini par un bruit sec d’ossements qui craquent. Râle enfoui dans sa gorge, alors que des milliers d’épingles se déchargent dans son dos. Une petite grimace et il s’étire pour décoincer le tout. « Je suis trop vieux pour ça. » souffle-t-il en laissant ses outils et se dirigeant vers chez lui. Loin d’être aussi vieux qu’il l’entend, le quarantenaire gravi les quelques marches qui le mène devant sa porte patio. Le glissement se fait doux et silencieux, lui perdu dans ses pensées, alors que résonne à ses oreilles l’eau du robinet. « Kessie tu aurais pu passer par l’arrière pour venir me dire bonjour. Sers-moi un verre d’eau s’il-te-plait. » Sa voix est songeuse, tandis que ses billes font le trajet jusqu’à la jeune femme derrière le robinet. Elle n’a rien de ressemblant avec sa sœur. Au contraire, elle a tout l’air de sa fille. Avec son tempérament taquin, il ajoute « Mais qui vois-je ? Serait-ce mes yeux qui me joue des tours ? Bowie comme tu as grandi. » Et sans jeter un regard de plus à Edmée, il commence à flatter le chien. « Le gros toutou s’est ennuyé de papi ! » Les goulis-goulis sous le menton et son regard qui se garde finalement et véritable sur Edmée, large sourire sur ses lèvres. « Tu es là depuis longtemps ? »

La surprise tombe mollement à l’eau, sans qu’Edmée n’y ait même songé. Elle connaît son père pourtant, sait qu’il a mille endroits où aller, mille personnes avec qui passer du temps et mille activités à faire. Il n’y a rien de surprenant qu’il ne soit pas chez lui dans l’après-midi, aussi elle ne prend pas son absence avec une trop grande déception. Avec un peu de chance, sa surprise fonctionnera quand même quand il finira par passer la porte. Il sera heureux, dans tous les cas. Edmée observe rapidement la maison qu’elle connaît par cœur, repère les quelques changements par ci par là, la plupart dont elle a déjà été mise au courant pendant son voyage. Puis son attention se reconcentre sur Bowie, brave compagnon de périple qui est heureux lui aussi de retrouver la maison familière. Il est en train de boire quand la porte s’ouvre à nouveau, la voix de son père résonne jusque dans la cuisine. Elle sert le verre sans rien dire, attendant qu’il la voit et elle ne peut s’empêcher de rire un peu quand leurs regards se croisent. Bowie court vers lui, évidemment, et l’amour est bien rendu des deux côtés tandis que la jeune femme regarde. « Il n’est pas le seul ! Mais je vois qui a ta préférence… » Le ton taquin, joueur, parce qu’elle est loin de le prendre mal, surtout quand il finit par relever le regard vers elle. « Non, quelques minutes seulement. Je voulais te faire la surprise. » Elle a un grand sourire aussi, similaire à celui qu’elle voit s’étaler sur le visage de son père. Le verre d’eau est servi, posé à côté d’elle sur le plan de travail, mais elle court plutôt vers son père pour le prendre dans ses bras. Plus de deux ans à se parler quotidiennement au téléphone, mais aussi plus de deux ans sans réelle étreinte. Ça a été trop long. « Comment tu vas Pap’s ? T’étais dans le jardin ? » Elle le sert une dernière fois, de toutes les forces contenues dans son corps, avant de se détacher pour le regarder. Il a l’air d’aller bien, ce qui lui fait plaisir. Elle retourne alors chercher le verre d’eau pour le lui donner.

Ses pas qui résonnent sur le parquet menant à la cuisine où il trouve deux revenants. Le retour au bercail de sa fille et son acolyte canidé. Pour le simple plaisir de taquiner sa fille, Richie préfère porter son attention sur le chien plutôt qu’elle. Une attention vite remarquée, alors que la langue chaude et humide remonte le long de sa joue. Un baiser mouillé comme les aiment les amoureux des bêtes. Ses doigts perdus dans le pelage de l’animal, l’ancienne rock star éclate de rire. « Serais-tu jalouse ? » Comment peut-elle douter de sa préférence ? Même s’il a bien remarqué son ton taquin, il s’amuse, se joue d’elle avec chaleur comme il l’a toujours fait. Père aimant qui aime bien châtier gentiment. Sa plaisanterie finie, l’homme courbaturé se redresse pour prendre sa posture la plus déployée. D’un hochement de la tête, il ouvre les bras dès qu’il voit Edmée se diriger vers lui. Une étreinte affectueuse comme il a toujours su en donner à sa fille, son unique enfant. Richie ne réalise pas encore à quel point elle a mûri en deux ans, peut-être parce qu’ils se sont parlé tous les jours au téléphone ? « Oh moi tu sais, la vieillesse qui gruge mes vieux os. » Il hoche la tête, ravagé par ces mots, avant d’observer sa fille du coin de l’œil. « Je te taquine, je vais bien. Eh oui, j'ai planté de nouveaux tournesols. » Sa fille le serre une dernière fois dans ses bras, le laissant lui rendre son étreinte avant qu’elle ne s’éloigne pour lui ramener le verre d’eau. Une gorgée. Un merci. Puis ses doigts se perdent dans les mèches de ses brins de blés. « Tu veux m’aider pour le reste, je dois faire le potager et tu pourras me raconter comment s'est passé ton retour en ville. »

Évidemment qu’il a été son premier arrêt, il n’aurait pu en être autrement. Max, à la limite, aurait pu prendre la première place s’il avait répondu à ses messages au fil des mois, mais puisqu’elle n’a eu aucun contact direct avec lui depuis son départ, il n’a pas eu droit à ce privilège. Son père est le premier homme de sa vie après tout, et si elle avait eu de la chance elle aurait pu voir Kessie en même temps. Pas de tante à l’horizon, mais rien de grave, ainsi elle a son papounet pour elle toute seule. Enfin, s’il daigne s’intéresser à elle plutôt qu’au chien. « C’est la malédiction des enfants uniques, on ne sait pas partager. » Elle rit un peu avant de se diriger vers lui quand il s’est redressé. L’habitude des taquineries de son père ne n’est pas perdue, et Edmée sait bien les lui rendre. Les chats ne font pas des chiens après tout, et ce matou là, en particulier, a eu une place trop centrale dans la vie de sa fille pour qu’elle soit vraiment différente de lui. « N’importe quoi, tu es en pleine forme ! » Elle répond avec un sourire, refusant de penser à la seule possibilité que son père puisse vieillir. Non, il est immortel Richie Lynch, jamais il ne la laissera seule. « Super, on va avoir un jardin encore plus beau ! » Elle les aime les tournesols de son père, ils égayent le paysage et toute l’atmosphère de la maison. Mais prenant tout de même soin du jardinier, elle va lui chercher de l’eau. « Oui avec plaisir ! Tu ne veux pas manger quelque chose avant ? » Sourire pour lui proposer de souffler un peu avant d’aller s’agenouiller encore dans la terre. Parce que malgré le fait qu’elle ne veuille pas penser au temps qui laisse son empreinte sur Richie, elle reste attentive et attentionnée. « Je viens littéralement de me garer tu sais, je n’ai pas grand chose à raconter cette fois. » Elle rit un peu et hausse les épaules, tout en sachant qu’une fois dans le potager elle trouvera maintes histoires à lui raconter.